Toutes mes excuses, mais la mémoire de mes années de nourrisson me fait cruellement défaut ; je n'ai que de très vagues souvenirs de ma vie entourant mon association au ranch des Domremy. Ma famille qui habitait la forêt avoisinant les plaines de Weö tenait en si haute estime ses éleveurs qu'il arrivait de laisser leurs enfants humains jouer en toute quiétude près de nos tanières. Et de ce qu'on raconte, je ne devais avoir qu'un an ou deux lorsque j'eus rencontré Nathan qui était sensiblement du même âge, bien que je ne me rappelle pas d'une telle époque où je ne le connaissais pas.

Le ranch n'était pas tout près, mais nous étions tout aussi inséparables lors de nos retrouvailles et bien qu'il nous arrivait d'avoir des différents un lien fort nous unissait déjà très jeune, me ramenant toujours à lui. Pourtant, Nathan était quelqu'un d'extraverti au possible tandis que ma timidité faisait que je me contentais de le suivre en silence, m'arrivant d'être entraîné dans bien des mésaventures avec les habitants du ranch et des environs. Mes aînés n'avaient de cesse de me mettre en garde contre un tel attachement, de l'influence et du pouvoir qu'un dresseur pouvait exercer sur moi et de leurs conséquences déastreuses. Je ne fus pas épargné des sermons et dramatisations qu'un dresseur malintentionné pouvait bien causer. L'inquiétude était telle, que mes ancêtres se sont vivement opposés à ce que je fréquente Nathan passé mes dix ans, ce qui du conduire à de longues discussions avec les responsables du ranch ; il fut alors décidé qu'aucun acte de dressage entre moi et Nathan ne serait passé avant que tous deux nous n'atteignons les quatorze ans. Je devrais être alors en mesure de décider si je souhaitais ou non concrétiser notre amitié par un lien de dressage conventionnel.

Quand je repense à ces évènements, je ne peux qu'en rire tellement mes parents se sont fait un sang d'encre pour un rien. Au final, je n'ai été officiellement capturé qu'à l'âge de mes dix-huit ans lorsque Nathan s'était décidé à suivre des études d'éleveur à la capitale. Le niveau d'étude s'était révélé être une formalité pour lui de part ses connaissances pratiques et son volontarisme à toute épreuve, mais je pense qu'elle lui aura apporté bien plus qu'un savoir académique. J'appris plus tard que le ranch des Domremy était particulièrement renommé et admiré de bon nombre d'éleveurs et coordinateurs qui aspiraient à y travailler un jour. Fidèle à lui même, Nathan a toujours su rester très modeste à cet égard mais a bien faillit rater certaines épreuves à force d'aider ses camarades à l'excès. C'était là un sujet sensible où nous avons été amenés plus d'une fois à nous disputer, car ils comptaient un peu trop lui à mon goût et ne rendaient pas toujours la pareille. Je ne nierai pas avoir une pointe de jalousie dans mes actes, ce qui expliquerait pourquoi les filles un peu trop familières avec lui ont finies par prendre un de mes sales tours illusoires...

Je retiens des années passées à Talma un très bon souvenir, car malgré le bruit et l'immensité de la ville l'instinct d'aventurier de Nathan le conduisait presque toujours en des endroits intéressants, rencontrant des gens de toutes sortes, parfois très enrichissants comme parfois bien moins fréquentables. De par son nom, il fut aussi invité maintes fois dans les quartiers des grandes familles appartenant à la clientèle de notre ranch ; l'on lui encourageait plus d'une fois de participer à des concours avant de reprendre les affaires de familles. Ils ne manquaient jamais de remarquer le dressage et lien particulièrement fort qu'il avait fait sur moi, un simple Zorua de forêt.
Mais contre toute attente, Nathan n'eut de cesse de décliner les offres se succédant devant lui avec une innocence comme il savait si bien faire, expliquant que sa seule place se trouvait en ce même ranch et que ne le rendrait plus heureux que de reprendre les rennes de son héritage.

Ainsi se sont achevées ses années d'étudiants, et le jour suivant sa remise de diplôme l'on se retrouva dans un véhicule en direction de notre foyer. Sur le trajet, son excitation était palpable à tel point qu'il manqua un appel de la part de sa sœur cadette Stacy, trop occupé à scruter le paysage en vu de quelque chose de familier. Elle avait cependant laissé un message lui racontant un roman, comme à son habitude, avant de s'arrêter pour ouvrir la porte. Oubliant de raccrocher, elle salua deux inconnus qui se présentèrent sous le nom de Matt et Zelpher, avant que le téléphone ne coupe brusquement. Sur le moment, nous n'y avions pas prêté plus attention, déjà parce que la réception était mauvaise et Stacy devait certainement s'être rendue compte de son étourderie.


Ce ne fut qu'une fois arrivé devant les portes du ranch que lui comme moi commencèrent à nous poser des questions. L'endroit était calme, anormalement paisible alors que d'ordinaire il fallait crier pour se faire entendre par dessus le tintamarre général de la maisonnée et du ranch inclus.
Il n'y avait personne non plus pour nous accueillir, et les horizons étaient vides de créatures qui d'ordinaire venaient paître en toute tranquillité. J'entends encore Nathan appeler le nom de ses frères et sœurs alors qu'il s'approchait de la maison avant de s'éteindre complètement, tout comme l'odeur infecte de brûler qui nous passa les narines me restera gravé à jamais à la vue de sa façade noircie, résultant d'un incendie que je ne doutais nullement être intentionnel. Pressant le pas, je me devais de hâter pour suivre sa course alors qu'il enfonçait la porte encore chaude de braises fumant non loin.
L'intérieur me laissa sans voix, et il me suffit de fermer les yeux pour revoir Stacy, les yeux ouverts de terreur et d'incompréhension à la vue d'un long tracé rouge lui barrant la gorge. Pour tout dire, je ne l'ai reconnu que par les nombreux bracelets porté à sa main gauche, n'ayant pas réchappé au feu il n'en restait de son joli visage qu'un épiderme fondu disgracieux qui nous serra le cœur à tous deux. A l'étage, deux corps que je devinais être ses chers parents gisaient aux bords de l'escalier, comme tentant de retenir les étranger d'avancer plus loin. Peine perdue, et je fus pris de nausées à la découverte de plusieurs petit cadavres calcinées correspondant à la taille de chacun de ses frères, soeurs et cousins empilés tels des sacs de grains...

Nathan n'a depuis plus soufflé un seul mot. Creusant une tombe pour chacun d'entre eux, il s'est silencieusement mis à la tâche pendant que je m'efforçais à comprendre la situation, ou du moins me l'expliquer. Je n'eus de cesse de ressasser ces évènements dans ma tête, sans qu'aucun sens ne vienne à l'esprit, sinon qu'un symbole tracé sur la porte me revenait en tête, évoquant la chute d'un météore.

Ne sachant que faire, nous nous sommes tournés vers ma famille dans la forêt où je me souviens avoir été reçu chaleureusement, malgré la douleur évidente. C'est à ce moment là que ma famille m'aura suggéré de laisser Nathan, qui sous son état de choc parvenait à peine à s'exprimer, ainsi que moi-même de rester parmi eux et de vivre à l'état sauvage de nouveau.

De toute évidence je ne pouvais pas laisser Nathan dans un tel état, ma confiance en les humains s'en fut brisé à un tel point que j'en fus réduit à voler de l'argent ainsi que des médicaments sous diverses formes dans l'espoir de lui rendre sa lueur d'antan. Mais mes efforts se soldèrent par un échec cuisant.

Le voir dépérir et lentement se laisser mourir se révélait être une nouvelle source de douleur pour moi, d'autant que notre proximité me faisait ressentir son désespoir avec une finesse dont je me serais bien passé. Il m'arrivait de me transformer en Nathan moi-même, me regarder être actif semblait alléger mon mal-être, aussi légèrement possible. A mesure que le temps passait, je me surprenais de plus en plus dans sa forme, jusqu'à m'y sentir si confortable que je m'en détachais qu'à contre cœur.

Ma famille remarqua cette obsession également, m'obligeant à ne plus jamais me transformer en humain, craignant que je ne devienne complètement fou à lier. Peut être avaient-ils raison. Mes pensées me poussant toujours plus à me morfondre davantage, me demandant comment les choses se seraient-elles déroulées si lui et moi ne nous étions jamais rencontrés.

Je ne saurais trop expliquer en quoi je me sentais responsable, mais une chose me restait claire ; j'avais passé ma vie à me laisser bercer par la direction de Nathan. Alors que je vociférais à l'encontre de tout ceux l'approchant, je reste certainement celui qui l'aura utilisé le plus. Et qu'ai-je fais en retour ? Qu'ai-je apporté pour mon dresseur en remerciement ?

En cet instant, ma décision ne se fit pas prier. Si Nathan ne possédait pas un cœur à combattre, cette tâche me revenait de droit. Non pas en tant que propriété, ni même en tant qu'ami fidèle, mais en tant que dernier membre restant de sa famille. Et Nathan. Je te promets qu'un jour, ce monde paiera pour t'avoir traité de la sorte.