au sommet des roches abruptes. - Falaises (route 1)

La chaleur poisseuse du marais commençait déjà à lui manquer. Sa peau sensible frémissait au moindre souffle de vent frais, bien trop frais pour la saison. Mais ils ne pouvaient plus y échapper à présent.
La bordure affûtée des falaises s'était dessinée sous leur yeux quelques heures plus tôt, déchirant le paysage comme si la terre avait été arrachée. Les arbres s'étaient raréfiés, et le chemin longeant la corniche laissait maintenant le petit groupe en proie aux bourrasques glacées qui remontaient le long des parois rocheuses. Plus ils avançaient, plus la terre se faisait malmenée, blessée. D'innombrables crevasses apparaissaient et disparaissaient tout au long de leur marche, dévoilant les entrailles de ce qui avait peut-être été un jour une plaine verdoyante. Seuls les oiseaux de proie semblaient vouloir vivre à présent en ces lieux, dissimulant leurs nids dans les creux peu accueillants qui formaient le sol.

Gambit fronça les sourcils, observant la silhouette dangereuse d'un imposant Rapasdepic qui planait au fond d'une grande faille embrumée. Perché sur l'épaule de son nouvel ami, le cochon aux gros bras qui l'avait aidé à sortir des griffes de son kidnappeur, l'amphibien se demanda pour quelle raison l'humain les avait conduit ici. Personne ne semblait vraiment s'en inquiéter (et surtout pas cet immense papillon fou qui les accompagnait le matin-même, et que Kenshîro avait fini par rappeler dans sa pokéball quand la créature avait commencé à balancer des paillettes sur un nid de rapace rempli d’œufs). Le rongeur et les deux verrats n'avaient pas semblé vouloir questionner le dresseur sur la raison de leur venue. Mais cette confiance aveugle, Gambit ne la partageait pas.
Frissonnant sous l'assaut d'une nouvelle bourrasque qui fit grogner Côtelette, le Grenousse se décida à quitter son perchoir, bondissant en avant pour rattraper le reste du groupe que leur petit duo suivait toujours à quelques mètres de distance. Le Grotichon dressa les oreilles en le regardant s'éloigner, et allongea le pas pour le rattraper.

Duncan était en train de remonter d'un petit promontoire en pierre sur lequel il s'était risqué, tenant un branche chargée de baies entre ses dents. Satisfait le Pikachu trottina vers le borgne avant de lui tendre son butin que le jeune homme accepta avant de caresser brièvement la tête de son compagnon. Gambit vint alors bousculer la souris électrique, bondissant sous le nez du dresseur qui haussa un sourcil réprobateur en fixant l'amphibien.

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Gambit attrapa la branche de baies des mains du dresseur et la jeta dans la brèche sous le regard médusé de Duncan.

"Qu'est-ce que... !" s'exclama le borgne.

Côtelette, qui était resté un peu en retrait jusqu'à cet instant, s'empressa d'avancer pour se placer aux côtés du Grenousse et empêcher Kenshîro d'avoir un geste déplacé. En effet, le cochon avait parfaitement vu la lueur de colère naître brusquement au fond de la pupille du dresseur, et il n'avait aucun doute sur le fait que le petit amphibien au torse bombé n'impressionnait pas le moins du monde le sabreur.

Duncan soupira face à ce tableau. La soirée précédente s'était pourtant si bien déroulée...
Ils avaient atteint un abri de dresseurs peu après la sortie du marais Sangwa, et comme aucun autre humain ne s'était présenté pour la nuit, le borgne en avait profité pour libérer toute son équipe. Gambit avait alors pu faire la connaissance des derniers membres du groupe qu'il ne connaissait pas encore. Avec aucun autre que Côtelette le courant ne passait aussi bien, mais le Grenousse s'était néanmoins bien comporté avec Mélusine, Sybille, et même avec Martel. Il s'était aussi montré patient (bien qu'un brin méprisant) avec le petit Égide qui avait pourtant passé de longues minutes à le bousculer pour le renifler avec curiosité.
En bref, l'amphibien n'avait laissé aucune piste préparant à ce brusque changement d'humeur. Cherchait-il, tout comme Côtelette, à asseoir une certaine autorité sur le groupe ? Le rongeur espérait sincèrement qu'il ne prendrait pas la même voie, celle-ci leur avait apporté suffisamment de soucis par le passé. Mais Kenshîro était plus compréhensif à présent, peut-être les choses seraient-elles différentes ?

Soutenant le regard du dresseur, Gambit fit soudain gonfler ses joues avant d'émettre un coassement satisfait. Ravi de voir tous les regards portés sur lui, l'amphibien fit soudain volte-face, chercha un instant des yeux la petite silhouette d'un oiseau flottant au-dessus d'un gouffre, et cracha sans crier gare un laser glacé qui fusa en direction du volatile.

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Kenshîro n'en revenait pas. Incrédule, son œil unique écarquillé par la surprise, il ne put qu'observer le rayon gelé fendre le vent, avant de venir toucher le pauvre Goelise qui volait tranquillement à plusieurs dizaines de mètres de leur position. L'oiseau ne vit même pas l'attaque venir. Sans comprendre ce qui lui arrivait, il fut frappé par la glace, secoué, avant de tomber comme une pierre vers les lourdes vagues qui léchaient le pied des hautes falaises.
Duncan se précipita vers le bord pour voir ce qu'il était advenu de l'innocent volatile, et fut soulagé de constater qu'une demi-douzaine de ses semblables s'était précipitée en criaillant pour le repêcher et le déposer sur un rocher en contrebas, afin de l'aider à se remettre. Le Goelise s'en sortirait.

Le borgne reporta son attention sur l'amphibien qui le fixait à nouveau, fièrement. Plissant son œil et fronçant les sourcils, le dresseur tenta de deviner ce qui pouvait bien être passé dans le crâne de Gambit. Il croyait reconnaître l'insubordination de Côtelette dans certaines des actions du Grenousse, mais lorsqu'il se penchait sérieusement sur la question, Kenshîro était de plus en plus certain que la créature aquatique était différente. L'amphibien ne cherchait pas à s'approprier l'autorité, à combattre l'humain sur son propre piédestal. Il n'avait même pas tenté de se confronter à Duncan pour briguer sa place de leader. Au lieu de l'envie et de l'ambition, le sabreur lisait dans le regard de l'amphibien une attente patiente, et un sourire satisfait qui ne semblait pas vouloir le quitter.
À bien y réfléchir, le borgne se souvenait que Gambit n'avait appris cette attaque que la veille. Il se souvenait avoir été ravi de constater le sérieux qu'avait mis le Grenousse dans son entraînement, embringuant avec lui Côtelette qui s'était montré plus intéressé et docile que jamais. Le pokémon aquatique avait-il fait tous ces efforts dans l'unique but d'en mettre plein la vue à son dresseur, attendant la bonne occasion pour lui montrer de quoi il était capable ?
Le sabreur se sentit sourire. Avant d'avoir pu réfléchir à sa façon d'agir, il s'accroupit en face de Gambit et lui tendit la main. Le Grenousse se rengorgea avant d'imiter le jeune homme, mimant naturellement une poignée de main sous les regards décontenancés de Côtelette et Duncan. Égide, quant à lui, assis à côté de son maître, observa cet échange avec une sage curiosité. Pour la première fois, Kenshîro se sentait parfaitement en accord avec une créature de son équipe.

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Duncan observait cet échange avec une certaine incrédulité. Décidément, lui qui pensait avoir fait le tour des facettes que pouvait offrir le borgne, voilà qu'il parvenait encore à le surprendre. Il se demanda un instant si le feeling passerait mieux entre Kenshîro et Gambit plutôt qu'avec lui. Après tout, il leur avait fallu travailler durement, au dresseur et son rongeur, pour parvenir à atteindre la confiance qui les liait aujourd'hui. Car oui, même si le jeune homme ne le disait pas, même si son attitude pouvait aisément laisser croire le contraire, son starter savait qu'il était prêt à se reposer sur lui sans craindre d'être déçu. Et il en allait de même pour Duncan... même si, tout comme son maître, il trouvait difficile de bien vouloir l'admettre.

Le Pikachu jeta un coup d’œil à Côtelette. Le Grotichon ne disait rien et n'était pas intervenu, mais son regard en disait long sur la froideur qu'il portait sur cette nouvelle amitié naissante. Voir son camarade sympathiser si vite avec celui qui l'avait si mal traité ne lui plaisait pas du tout. Certes, ses rapports avec Kenshîro s'étaient améliorés ces derniers temps, mais le verrat préférait garder une certaine distance, de peur, peut-être, de se sentir à nouveau trahi par le bretteur. Et pour cause...
Duncan n'avait aucun doute sur le fait que la créature porcine prenait cette relation entre le borgne et Gambit comme un affront, car il était celui que le Grenousse avait décidé de suivre. Le dresseur ne passerait pas avant cela, le cochon refuserait cette éventualité.

Alors que Duncan faisait un pas vers le Grotichon, voyant ce dernier serrer les poings avec dépit, un criaillement strident lui fit dresser les oreilles et le poil sur la nuque. Il jeta un coup d’œil rapide en direction des falaises, grimaçant en tâchant de protéger son ouïe, et remarqua alors le Goelise qui fonçait droit sur eux, fou de colère.

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Peut-être s'agissait-il du même Goelise, peut-être pas. L'un de ses camarades, inquiet pour l'oiseau, avait possiblement assisté à l'action brutale du Grenousse qui s'en était pris sans vergogne à un innocent, et venait en cet instant le punir. Quoiqu'il en soit, le volatile fonçait droit du eux, bec en avant, tandis qu'une lueur dangereuse commençait à scintiller sur le plumage de ses ailes.
Kenshîro s'en aperçut et compris rapidement. Sans attendre, il attrapa Égide qui se roulait tranquillement à ses pieds et recula d'un pas pour éviter le choc. Duncan recula lui-aussi, d'un bond agile, prêt à frapper quand le Goelise serait à portée. Côtelette, quant à lui, n'attendit pas. Son poing furieux jaillit en direction de l'oiseau qui esquiva habilement l'attaque, virevoltant autour du bras musclé du cochon pour déclencher enfin sa Cru-Aile directement sur Gambit.

Le Grenousse ne s'attendait visiblement pas à de telles représailles. Le sol éclata sous l'impact, explosant dans une gerbe de petits cailloux et de mottes de terre arrachées. Le Goelise reprit aussitôt de l'altitude, volant en cercle autour du point de choc pour s'assurer du bon déroulement de sa vengeance. Mais la poussière n'eut pas le temps de retomber avant qu'un rayon de glace aveuglant s'en échappe, touchant l'oiseau qui piailla de douleur avant de fuir en toute hâte.

Gambit poussa un coassement mécontent, avant de toussoter et de chasser la terre qui le couvrait. Côtelette s'approcha de lui, inquiet. L'amphibien semblait légèrement blessé, mais son ego avait été plus sérieusement touché que son corps.
Le borgne s'avança à son tour, surveillant le ciel pour s'assurer qu'aucun autre volatile ne cherchait à les prendre pour cible, puis il déposa Égide au sol et fouilla dans son sac à la recherche d'un soin pour Gambit. Ce dernier aurait voulu s'offusquer de ce geste, mais la douleur dans son épaule le rappela à la réalité. Il grimaça, avant d'accepter froidement la potion que Kenshîro lui tendait.

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Côtelette croisa les bras en affichant une moue dédaigneuse. Kenshîro ne sermonna même pas le Grenousse sur son attitude cavalière qui leur était pourtant revenue en pleine face. Bien au contraire, sans s'offusquer, le borgne posa un genou à terre tandis que Gambit avalait la baie au jus médicinal. Il déposa Égide à ses côtés et commença à expliquer posément à l'amphibien leur manière de fonctionner. C'était lui, le dresseur, qui choisissait leurs adversaires en temps normal. A moins d'une attaque en traître, cette méthode lui permettait d'évaluer le niveau de ses combattants et de leur trouver des cibles adéquats. L’entrain de Gambit lui plaisait, et le jeune homme lui promit de trouver des défis à sa mesure pour lui permettre d'atteindre son plein potentiel.

Le Grenousse écouta son nouveau dresseur tout en engloutissant le reste de sa baie. Un sourire fier et satisfait se plaqua sur son visage. Visiblement, son but avait été atteint.
Côtelette haussa les épaules en grognant, puis se figea en voyant que Kenshîro avait tourné son œil unique dans sa direction. Le Grotichon sentit ses muscles se raidir et les poils de son dos se hérisser, comme à chaque fois que l'humain lui accordait quelque attention. Pour ne rien arranger, le borgne esquissa un fin sourire qui déclencha une nouvelle vague d'irritation au fond des tripes du pokémon porcin.

"Je te serais reconnaissant de continuer à marcher avec Côtelette." lança-t-il à Gambit. "Je pense qu'il a beaucoup à apprendre de toi."

Et sur ce, le jeune homme se redressa, épousseta ses vêtements et ordonna à son équipe de reprendre la route. Le Grotichon bouillait intérieurement quand son compagnon amphibien revint vers lui, fier comme un paon. Il lui adressa un regard mauvais et reprit sa marche. Gambit grimaça une expression mi-outrée mi-incrédule. Il ne comprenait pas l'attitude du cochon qui repoussait en bloc tout ce que leur dresseur pouvait leur apporter. Mais le Grenousse, lui, savait. Il savait que les humais étaient le meilleur moyen pour eux de briller, de gagner en puissance, de s'épanouir dans le combat. Il le savait, car il en avait été témoin. Et plus d'une fois. Et il ne comptait pas laisser passer sa chance à présent.

Sans s'occuper des sauts d'humeurs de ses combattants restés en arrière, Kenshîro continuait à avancer en observant les gouffres qu'il longeait. Il aperçut enfin un oiseau isolé,posé sur une corniche, et qui semblait hésiter à prendre son envol. Ce ne devait pas être un adversaire trop dangereux, et le borgne avait besoin de s'assurer d'une chose ou deux. Il stoppa sa marche, et attrapa la pokéball de Martel.

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La falaise plongeait à pic à ses griffes comme un gouffre sans fin. Des brumes du fond de l'abîme s'élevait le grondement des entrailles de la terre, et les cris incessants de ses congénères. Chasseurs infatigables, combattants du ciel, les rapaces filaient comme des flèches au milieu de cette gangue vaporeuse où se dissimulaient leurs proies. Et ils frappaient. Frappaient encore, dans un bruissement d'ailes à peine perceptible, terrassant les frêles oiseaux avant que ces derniers n'aient pu apercevoir leur silhouette prédatrice fondre sur eux.

Plantant ses longues griffes acérées dans la roche friable de son promontoire, le traqueur se prépara à décoller. À cet instant, une gerbe de terre explosa à sa droite. L'oiseau se hérissa, ses yeux effilés fixant l'impact creusé un peu au-dessus de sa position alors qu'un sifflement strident lui échappait. On l'avait pris pour cible !
En relevant la tête pour chercher l'agresseur du regard, il aperçut enfin la bête. Le monstre battait à toute vitesse de ses ailes immenses, aussi hautes que larges, se découpant dans la lueur cruellement aveuglante d'un soleil pâle. Sans même lui laisser le temps de le menacer, l'ennemi fit claquer une nouvelle fois ses grandes membranes couleur océan dans sa direction. La détonation retentit comme un bruit de tonnerre, et le vent fusa en rafale dans sa direction comme une lame de fond prête à tout emporter.
Le Piafabec poussa un cri de guerrier, pavillon déployé, et s'élança dans le vide pour esquiver l'attaque qui termina de détruire son perchoir dans une explosion de roche, d'herbe et de poussière. Les gravas s'effondrèrent et disparurent dans la brume, mais le rapace n'y prit pas garde.
Depuis les temps anciens, lui et les siens étaient les chasseurs. L’œil vif, serres déployées, l'oiseau engagea le combat s'élançant sur les vents ascendants qui le portèrent jusqu'à la bête. Jamais il ne serait la proie ! Et cet ennemi gigantesque allait l'apprendre à ses dépends !

Mais son instinct de prédateur le trahit...
Il effectua une manœuvre acrobatique sans précédent, dépassant le monstre pour se positionner au-dessus de lui, puis exécuta un demi-tour foudroyant pour retomber sur lui. Mais alors qu'il allait frapper, ses longues griffes brillantes tendues vers l'avant, la certitude en tête que ses armes arracheraient les grands yeux sombres de sa cibles avant qu'elle ait le temps de réagir, le chasseur fut vaincu. Ses pupilles s'étrécirent comme des lames lorsqu'il vit que la bête s'était déjà retournée. Une fois encore, dans un claquement tonitruant, ses ailes immenses déclenchèrent une lame de vent qui fusa droit sur lui.
Le Piafabec eut l'impression que le temps se figeait, tandis que l'air se brouillait devant lui comme une image sur des eaux tourmentées. Il avait perdu...


Kenshîro désigna avec satisfaction la petite tornade dans laquelle Martel venait de piéger un Piafabec. Il observa la réaction de Gambit et Mélusine, mais si l'amphibien suivait avec attention, tout en mâchonnant, l'action qui se déroulait au creux des falaises, la Pitrouille quant à elle semblait plus absorbée par les sucreries que le dresseur avait distribuées.
Le borgne fronça les sourcils en bougonnant. Qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir faire de ce maudit petit spectre ?! Le gazouillis ravi de son Prismillon qui revenait en virevoltant et balançant allègrement ses paillettes en tous sens l'emplit soudain d'une immense lassitude, et il soupira en se massant les tempes, réfléchissant à la meilleure façon d'entraîner la partie arriérée de son équipe.

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Martel était revenu se poser près du reste de l'équipe. Kenshîro l'avait récompensé d'une friandise qu'il grignotait à présent tranquillement. Au moins, pendant que l'insecte géant s'empiffrait, il ne volait pas en tous sens, laissant le temps à son dresseur de réfléchir.
La prochaine arène qu'il voulait rejoindre était à Merya, une ville qu'il n'avait encore jamais visitée. Il savait que le champion de ces murs entraînait des pokémons de type Sol, pour l'avoir lu dans la Gazette du Dresseur. Un parfait désavantage sur le papier, si l'on se référait à son starter et combattant le plus puissant. Mais Kenshîro savait parfaitement que Duncan avait suivi un entraînement suffisamment équilibré pour faire face à son point faible naturel. En outre, il possédait maintenant deux pokémons Eau dans son équipe, le Grenousse et Sybille, la Flingouste qu'il n'avait pas sorti de sa pokéball, sachant qu'il n'aurait d'autre choix que de la porter pour continuer sa route. Et depuis quelques temps, ses bras étaient souvent pris...

Le borgne jeta un regard en coin à Égide. Le bébé Gruikui était tout à fait à l'aise parmi l'équipe à présent, passant joyeusement de Duncan à Côtelette et Gambit, puis à Mélusine pour terminer par Martel qui le couvrait régulièrement d'une fine pellicule d'écailles brillantes et lumineuses que Kenshîro s'échinait à brosser tous les soirs. Le petit cochon gambadait sans mal, et répondait au doigt et à l’œil lorsque le jeune homme s'adressait à lui.
Oh, bien sûr, le dresseur ne lui demandait jamais rien de bien compliqué : la plupart du temps, il ne faisait qu'ordonner à Égide de rester près de lui ou Duncan, afin que quelqu'un ait toujours un œil sur lui. Mais la petite boule de charbon était pleine d'énergie, une énergie qu'il lui faudrait bientôt dépenser autrement qu'en courant d'un membre à l'autre de la troupe.

Kenshîro fronça les sourcils et prit un air soucieux. C'est pourtant bien pour cela qu'il avait acheté le petit gigot au prix fort, et tôt ou tard il devrait l'envoyer au combat. Il était même possible que le Gruikui soit déjà fin prêt. Mais le dresseur, pourtant, ne faisait que repousser l'échéance. C'est vrai, il redoutait l'instant où Égide se ferait blesser sur le terrain. C'était le premier pokémon dont il s'occupait depuis son plus jeune âge, et la sensation était totalement différente de celle qu'il avait ressenti avec Duncan ou Martel, ses premiers combattants. Le bébé cochon était totalement sous sa responsabilité, et cette idée l'effrayait légèrement.
En plus de tout cela, s'il voulait l'intégrer à l'équipe, il allait devoir faire une place. Sa première idée avait été de renvoyer Mélusine, puisque le spectre lui pesait sur les nerfs. Mais à bien y réfléchir, son équipe était déjà suffisamment déséquilibrée pour qu'il se débarasse d'un pokémon Plante au détriment de deux créatures de Feu ou d'Eau. Il allait devoir faire un choix, et très vite.

Un gazouillis mélodieux de Martel attira son attention, et Kenshîro leva son œil unique pour apercevoir un étrange oiseau qui venait de sortir d'un fourré. Ses petits bras étaient chargés de baies, et c'était la quantité de fruits qui avait capté l'attention du Prismillon. Le dresseur sourit en se redressant. Puis il fit signe au gros insecte de décoller.

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Martel quitta le sol en gazouillant joyeusement. Il tournicota dans les airs, au-dessus de son dresseur, impatient de répondre à ses ordres. Kenshîro grogna en chassant la poudre qui tombait sur ses épaules, puis sortit son pokédex de sa poche pour le tourner vers la créature sauvage.
L'ordinateur de poche lui désigna le volatile comme un Cadoizo, une espèce que le borgne se souvenait avoir aperçu quelques fois étant enfant sur les marchés de noël animés par la plèbe. Une vague réminiscence lui revint en mémoire, une soirée d'hiver où il rentrait au manoir accompagné d'Ezechiel et de son tuteur du moment. Il devait alors avoir six ou sept ans, et marchait déjà dans les rues de Domuraille comme en terrain conquis. C'est là qu'il était tombé sur cette petite créature, plantée devant une échoppe et entourée d'enfant. Elle distribuait des cadeaux et quelques friandises aux jeunes gens défavorisés, fils et filles de domestiques qui s’agglutinaient avec moult cris autour de sa petite silhouette emplumée.
Kenshîro se souvint les avoir observé d'un air dédaigneux, tandis que l'envie le faisait frissonner et regretter de ne pas être parmi eux, malgré la quantité de présents qui, il le savait, l'attendait au manoir.

"Martel, je tiens à capturer cet oiseau." précisa-t-il au Prismillon qui acquiesça en gloussant.

Sans plus attendre, l'insecte géant se dirigea vers le volatile qui se dandinait tranquillement vers les terres, sa charge toujours logée au creux de ses minuscules ailes. À vrai dire, en venant sur ces falaises, le borgne avait espéré se trouver une créature aérienne à l'envergure suffisante pour lui servir de monture. L'idée ne lui plaisait pas vraiment - l'effrayait même totalement - mais ses fonds n'étaient pas suffisants pour lui permettre de louer un véhicule. Et même s'il avait fait jusque là la grande majorité de son voyage à pieds, un moyen de transport plus rapide allait très vite devenir indispensable.
Le dresseur observa donc son Prismillon déclencher une explosion de paillettes au-dessus du Cadoizo, tout en songeant à la perte de temps que lui apporterait ce petit caprice né d'un souvenir lointain...

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Comme toujours, la Poudre Dodo de Martel agit avec efficacité et une rapidité déconcertante. Kenshîro lui-même était toujours surpris de voir avec quelle facilité le Prismillon parvenait à endormir ses cibles. Le Cadoizo avait juste eu le temps de voir l'énorme insecte approcher. Il s'était arrêté, curieux, pour observer de ses grands yeux cernés la créature volante, puis l'attaque l'avait assommé. Il s'était effondré et gisait à présent, profondément endormi, au milieu des baies qui s'étaient échappées de son étreinte pour rouler en tous sens.
Égide dressa vivement les oreilles, et démarra en trombe sur ses courtes pattes pour galoper jusqu'au volatile effondré. Il se posta aussitôt près d'une grosse baie à l'air juteux, proclamant d'une poussée du groin que le fruit lui appartenait, avant de le pousser légèrement vers son dresseur dans un geste d'offrande.

Le borgne sourit au petit cochon, et sortit calmement une pokéball vide de sa besace. Il envoya la sphère sur le Cadoizo qui disparut aussitôt dans un faisceau de lumière. La sphère remua un peu, mais ne tarda pas à s'immobiliser. La capture était une réussite.

"Bravo, Martel." lança le dresseur de sa voix posée et satisfaite.

Il s'avança pour ramasser la pokéball, sachant qu'il ne pourrait pas voir le pokémon qu'elle contenait avant d'atteindre une ville, son équipe étant déjà pleine. Tandis que son Prismillon effectuait une petite danse de la joie, le borgne caressa la tête de son bébé cochon tout en ramassant la baie que ce dernier lui avait désignée. Égide grogna joyeusement, et retourna aux côtés de l'équipe en trottinant près des jambes de son dresseur.
Ce dernier se demanda une fois de plus comment il parviendrait à se décider à envoyer la boule de suie au combat. Son regard croisa alors celui de Duncan qui l'observait, pensif. Kenshîro ne doutait pas que le Pikachu se posait les mêmes questions que lui.