un événement passager. - Merya (route 3)

Il faisait frais et humide sur la plaine Wëo. Kenshîro avait attendu une éclaircie pour quitter la ville et se rendre à la foire. Les nuages gris s'amoncelaient encore au-dessus de leur tête, mais les touristes affluaient néanmoins, riant entre les stand dressés d'où s'échappaient des odeurs de nourriture sucrée et épicées.
Le borgne posa une main sur son front pour chasser un vertige. Toutes ces odeurs mêlées lui faisaient tourner la tête. Il ne s'était toujours pas remis de sa fièvre, qui l'avait empêché de quitter Merya et son lit d’hôtel plusieurs jours durant. Mais il n'en pouvait plus de cette inactivité, et il savait qu'il en était de même pour ses Pokemon. Bien entendu, il ne comptait pas rester très longtemps sur la foire, il ne s'en sentait pas la force. Mais après y avoir fait un petit tour, le dresseur comptait s'enfoncer dans la plaine afin de laisser son équipe se dégourdir un peu.

"Des baies Pumkin !" s'écria Duncan avec entrain.

Kenshîro suivit le regard de son rongeur et remarqua les nombreuses baies, à la peau taillée et décorée, desquelles s'échappait un doux fumé. Les regards de ses deux compagnons s'étaient illuminés, et Égide se tritura timidement les griffes en relevant ses grands yeux noirs vers le jeune homme. Le borgne n'eut pas le cœur de leur refuser ce plaisir. Il s'avança vers le stand, et leur acheta un fruit chacun, avant de sortir quelques pièces de plus pour prendre un ticket de tombola.

Ils firent rapidement le tour de la foire, mais aucune des attractions ne donnait envie au garçon malade. Ses deux Pokemon le suivaient docilement, mangeant en silence leur baie tout en surveillant l'état de leur maître. L'air frais eut tout de même un effet rassérénant, et Kenshîro se sentit moins nauséeux après un petit quart d'heure de marche.
Il n'avait croisé aucun visage qu'il connaissait, ce qui n'était pas pour lui déplaire (et ce, même s'il avait espéré secrètement revoir Kitai). Après être revenu à l'entrée de la foire, le jeune homme se dirigea vers un petit chemin qui s'enfonçait vers la partie sauvage de la plaine, espérant échapper au brouhaha humain qui résonnait encore dans son crâne.

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Le trio s'engagea sur un petit chemin de terre. L'herbe sentait encore la pluie, et les feuillages des arbres laissaient parfois échapper quelques gouttes glacées qui s'écrasaient au sol dans un cliquetis à peine audible.
Kenshîro s'enfonça dans son écharpe, soupirant en se disant qu'il fallait qu'il se soigne au plus vite. Personne dans son minuscule entourage ne savait qu'il était ici. Cela faisait des mois qu'il n'avait pas été contacté par son oncle. Et bien que le jeune homme ait prévenu ce dernier qu'il voyagerait à travers la région pendant un certain temps, il lui semblait tout de même étrange qu'Akio n'ait pas cherché à avoir de ses nouvelles, alors qu'il ne cessait de l'appeler au cours des premiers mois de son voyage. Il serait peut-être bientôt temps de repasser à Domuraille pour voir où en était la situation...

Non. Il devait d'abord ouvrir ce Centre de Dressage. Le borgne avait quelque chose à se prouver avant de pouvoir retourner à sa vie de jeune noble. Il y était presque. Et dès qu'il aurait acheté les murs de la structure, il se rendrait dans sa ville natale. Là-bas, il comptait bien revoir son maître, et s'expliquer auprès de lui. Puis il retournerait au manoir où il prévoirait une rencontre avec son oncle. Et tous deux étudieraient l'avenir de la famille, son mariage, et sa reprise des compétitions de sabre.
Le sabre... Parviendrait-il réellement à rattraper son ancien niveau avec un œil en moins ?

Tandis que le dresseur se perdait dans ses pensées moroses, Duncan et Égide stoppèrent brusquement leur marche en tendant l'oreille lorsqu'un bruit léger de galopade leur parvint. Le Grotichon leva un bras devant Kenshîro pour l'obliger à s'arrêter lui-aussi, et le Pikachu s'avança de quelques pas.
Une forme allongée se dressa alors au milieu des hautes herbes. Un Fouinar, qui les observa avec curiosité. Duncan soupira légèrement. La créature ne paraissait pas dangereuse. Mais il entendit alors dans son dos le bruit significatif d'une pokéball libérant son hôte. Visiblement, le dresseur ne se sentait pas d'humeur pacifique.

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Mélusine ouvrit de grands yeux ravis en voyant le visage de son dresseur tourné vers elle. Kenshîro venait de l'appeler, elle ! Et pour combattre, qui plus est ! C'était bien la première fois que le dresseur faisait appel au petit spectre qu'elle était pour une autre raison que sa charmante compagnie. Oh bien sûr, ce que préférait la Pitrouille, c'était de passer du temps auprès de lui, de le contempler pendant qu'il exerçait son autorité en dirigeant les entraînements, ou pendant qu'il dormait, ou encore de se rouler en rêvant dans les vêtements du jeune homme. Mais un combat, après tout, ce n'était pas si mal !
Jusqu'à maintenant, Mélusine s'était parfois prise à penser que le borgne ne la pensait pas capable d'affronter un ennemi. Il était vrai que la plante ne s'était jamais montrée particulièrement belliqueuse, que ce soit avant ou après sa capture et sa vie avec Kenshîro. Mais elle avait tout de même des bases, comme tout Pokemon ayant vécu dans la nature sauvage. Sans parler du fait qu'elle avait toujours assisté aux entraînements de l'équipe.

Revigorée par cette pensée, le petit spectre se dressa vaillamment dans les airs, rougissant légèrement en sentant le regard de l'humain posé sur elle. Il n'allait pas être déçu, ça non !
Sans laisser le temps au pauvre Fouinar sauvage de reprendre sa route, le Pitrouille fit soudain frémir sa collerette végétale, de laquelle s'échappèrent brusquement une multitudes de feuilles tranchantes comme des rasoirs. Les armes se figèrent dans les airs tout autour d'elle, et fusèrent comme une pluie de lames vers la créature qui reçue l'attaque dans la plus grande surprise.

Folle de joie, Mélusine se précipita alors sur son dresseur pour se frotter à son visage. Mais ce dernier poussa un cri mécontent tout en la repoussant.

"Ce n'est pas fini, maudite idiote !" aboya le borgne en la renvoyant vers le Fouinar énervé qui se jeta sur elle toutes griffes dehors.

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Les petites griffes acérées de la créature sauvage passèrent au travers du spectre. Mélusine, déstabilisée par les paroles de son dresseur, mit quelques secondes à réagir. Se reprenant, elle envoya une nouvelle salve de feuilles tranchantes en direction de la fouine qui, cette fois-ci, ne s'en releva pas. Kenshîro en profita pour envoyer une pokéball sur le Pokemon sauvage qui se laissa capturer sans résister.
Consciente d'avoir déçu le jeune homme - bien qu'elle ignorât comment - la petite Pitrouille alla ramasser la sphère bicolore grâce à sa tige frontale, pour venir la confier au garçon en rougissant légèrement. Le borgne lui jeta un regard sombre, mais accepta l'offrande en silence, avant de la ranger dans son sac.

Il ne s'était pas écoulé plus de cinq minutes depuis que le combat avait débuté, mais Kenshîro avait la sensation étrange que la température avait nettement diminué. Son corps lui semblait lourd, comme s'il était resté immobile des heures durant. Peut-être s'agissait-il d'une nouvelle poussée de fièvre ?
Le jeune homme grogna et se massant les tempes.

"Nous n'allons pas tarder à rentrer..." marmonna-t-il à l'intention de Duncan.

Le Pikachu hocha la tête. Il était inquiet de voir son dresseur aussi mal. Mais le rongeur remarquait aussi qu'il ne se sentait pas très bien lui-même. Il n'en laissa rien paraître cependant, trop conscient que le borgne comptait sur lui pour compenser sa fatigue liée à la maladie.
Ils reprirent la route en silence, chacun taisant le sentiment d'oppression qui les menaçait pourtant. Alors, survint l'attaque. Aucune des cibles n'eut le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Kenshîro sentit son corps se figer brusquement. Les muscles de ses jambes ne lui obéissaient plus. Il se trouvait comme soudain collé au sol, incapable de faire un pas de plus.

"Mais ! Qu'est-ce que..." bégaya le borgne en baissant son œil unique vers l'aura violette qui semblait émaner de ses membres inférieurs.

Un coup d’œil apeuré autour de lui apprit au dresseur que ses compagnons étaient touchés par un mal identique. Mélusine s'était figée dans les airs, une expression de surprise sur son petit visage. Duncan et Égide, qui avaient senti le danger derrière cette étrange paralysie, tentaient en vain de se débattre, dents serrées, forçant sur leurs muscles soumis à ce qui semblait être une attaque psychique.
Kenshîro avait déjà été témoin des effets de ce genre de technique, et l'idée d'un Pokemon de type Psy lui vint rapidement à l'esprit. Mais alors qu'il jurait en essayant vainement de bouger à nouveau, son mal de crâne s'accentua encore, le forçant à se mordre la langue pour éviter de crier sous l'étreinte de la douleur.
Lorsqu'il rouvrit la paupière, ce fut pour apercevoir la créature en armure qui se posa doucement devant eux. Il avait vu juste, il s'agissait bien d'un Pokemon Psy. Mais le dresseur n'avait aucune idée sur son espèce. Il était en outre tout à fait étrange qu'elle soit vêtue d'une telle carapace, car la chose paraissait de manufacture humaine. Bien sûr, certaines bêtes prenaient naturellement possessions d'objets créés par l'homme, mais celle qui se tenait devant lui ne lui donnait pas cette impression. La carapace de métal ne faisait pas partie du corps du monstre.

Soudain, la sensation horrible qui liait ses bras disparut. Kenshîro se jeta aussitôt sur sa ceinture pour arracher le sabre de son fourreau. Une alarme clignotait dans son cerveau ; le danger auquel il faisait face était bien réel.
L'adversaire avait levé une de ses mains dans leur direction. Son bras était entouré de la même aura qui touchait chacun des corps de ses victimes. Lentement, son attention se déporta sur Duncan, qui grondait tout bas en essayant toujours de vaincre le pouvoir qui l'entravait. Sans émettre le moindre son, la créature inconnue souleva soudain le Pikachu du sol, le faisant léviter devant elle, avant de serrer le poing dans un geste toujours aussi lent et posé. Le corps du rongeur se contracta brusquement, et une longue plainte de douleur lui échappa sans retenue. Le monstre était en train de resserrer sa pression mentale.

"Par tous les Dieux ! Mais lâche-le tout de suite !" aboya le borgne en brandissant son arme pourtant inefficace à cette distance.

Une terreur sourde l'avait envahi à la vue de son compagnon malmené. Le jeune homme avait presque l'impression de ressentir l'horrible douleur qui broyait Duncan. Pour la première fois, l'idée que son rongeur puisse disparaître à tout jamais se présenta de force à son esprit. L'image de son ancien Seviper se superposa un bref instant à celle de la souris électrique, et le sang du dresseur ne fit qu'un tour. Lâchant son sabre d'une main, il attrapa les pokéball de Gambit et Côtelette avant de les envoyer directement sur le monstre.

"Tuez-le !" ordonna-t-il sans même laisser le temps aux faisceaux de former la silhouette de ses deux combattants.

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Le borgne avait l'impression de vivre un cauchemar éveillé. À peine le corps de Gambit fut-il matérialisé que le Croaporal s'élança vaillamment au-devant de l'ennemi. L'amphibien avait entendu la panique dans la voix de son dresseur, et aussitôt compris l'urgence de la situation. Le monstre gris avait l'air coriace mais Gambit n'en avait que faire. Quiconque s'en prenait à leur équipe devait s'attendre à en découdre !

Kenshîro ne put retenir un cri de surprise et de détresse en voyant son Pokemon Eau se faire balayer comme un vulgaire moucheron : la créature en armure fit un geste rapide de sa main libre et le Croaporal vola dans les airs, fauché dans sa charge comme s'il avait reçu l'équivalent d'un véhicule lancé à pleine vitesse dans les côtes. Gambit roula entre les buissons broussailleux qui amortirent à peine sa chute, et demeura inerte.
Côtelette, assistant au spectacle, n'avait pas bougé d'un poil depuis qu'il avait été libéré. Il fixait l'adversaire avec de grands yeux sombres, comme tétanisé. Il ne lui avait pas fallu deux secondes pour comprendre à quel point la différence de niveau était gargantuesque entre ce monstre et lui.

"Fais quelque chose !" hurla avec peur et colère le jeune homme en direction de son Grotichon.

Le cri du garçon rappela l'attention de l'être à la peau grise qui tourna alors la tête vers le cochon. Ce dernier sursauta et se mit à trembler légèrement. Comme elle l'avait fait pour Gambit, la créature leva sa main libre, et envoya valser le Pokemon porcin qui alla s'écraser contre un arbre et perdit instantanément connaissance.
Sous le regard plein d'effroi du borgne, chacun de ses compagnons subit tour à tour le même sort, Mélusine, Égide, et enfin le pauvre Duncan qui, à bout de force sous la pression psychique qu'on lui infligeait, s'était évanoui avant même que le monstre le propulse un peu plus loin.

Tout s'était déroulé en quelques secondes à peine, mais Kenshîro avait l'impression que le temps s'était arrêté. Ses mains moites serrées sur son sabre à s'en briser les jointures étaient devenues blanches comme de la craie. Son corps entier était parcouru de frissons ininterrompus et ses dents claquaient légèrement. Dans un silence lourd, le monstre s'approcha enfin du jeune homme, lentement, en lévitant.
Obnubilé par sa terreur, le garçon leva son arme comme pour dresser un rempart entre son ennemi et lui-même. Il allait mourir ici, loin de tout, tué par une bête sauvage sans que personne se soucie de son sort. Il avait échappé à la folie d'Ezechiel pour terminer sur le bord d'un chemin, étendu dans un fossé au milieu des corps de ses compagnons. Et personne ne le pleurerait. Tout comme son père.
Lorsque le casque de l'adversaire ne fut plus qu'à quelques centimètres de son visage, Kenshîro crut deviner un regard d'acier au-delà de l'armure. Un regard qui le transperça de part en part. Et avant qu'il put faire le moindre geste, le dresseur perdit connaissance.


Sa paupière lui paraissait plus lourde que du plomb. Kenshîro grogna, puis gémit en sentant la douleur revenir en même temps que sa conscience. Ses tempes battaient sourdement, lui donnant l'atroce impression d'avoir été serrées dans un étaux. Ses doigts remuèrent faiblement, par soubresauts, et le jeune homme comprit qu'il s'était effondré sur la terre boueuse et glacée. L'humidité s'était insinuée dans ses vêtements, contre sa joue et le long de sa poitrine, rendant toutes ces parties douloureuses et à vif. Des tremblements incontrôlables parcoururent bientôt ses mains à mesure que ses sensations lui revenaient. Il se sentait affreusement mal.
Soudain, les derniers événements lui revinrent en mémoire. Duncan et ses compagnons, qu'étaient-ils devenus ? Avec un grognement étranglé, le jeune homme entreprit de se relever. Il eut l'impression que tous ses os grinçaient, il fallut près d'une demi-minute pour qu'il parvienne à se mettre à genoux. Serrant ses bras tremblants contre lui, le borgne osa enfin regarder autour de lui.
Son sabre traînait à moins d'un mètre de lui, certainement libéré de sa main lorsqu'il s'était évanoui. Un peu plus loin, Kenshîro aperçut tour à tour les corps de Gambit, Côtelette et Mélusine, au même endroit où ses Pokemon avaient été abandonnés par le monstre. La silhouette de Duncan était la plus proche, étendue sur le chemin, son pelage doré maculé par la boue glaciale. Sa poitrine se soulevait faiblement, laissant deviner son état de profonde inconscience.
Cette vision perfora le cœur du garçon qui sentit soudain le froid avec une plus grande intensité. Son compagnon avait été vaincu. Vaincu, et gravement blessé. Peut-être même était-il déjà condamné. Mais ça... il ne pouvait l'accepter !

Enjoignant ses dernière forces, Kenshîro se fit violence pour tenter de se relever. Quelque chose de chaud, robuste, se pressa soudain contre ses côtes, le faisant sursauter. Son cœur bondit dans sa poitrine, et il faillit basculer à nouveau sur le sol. Mais la présence le rattrapa à temps, se plaçant sous son épaule pour l'aider à reprendre son équilibre.
Le souffle court, le borgne tourna son œil ambré vers son Grotichon à la peau sombre qui le fixait avec inquiétude. Égide avait le front orné d'une profonde entaille de laquelle s'écoulait une rigole de sang qui sinuait jusqu'à son menton, le forçant à fermer sa paupière au creux de laquelle s'était amassé le liquide pourpre.
Le dresseur voulut dire quelque chose, mais ne put laisser échapper qu'un soupir de soulagement. Il se serra contre la créature porcine, profitant volontiers de sa chaleur et du soutient qu'elle lui apportait pour l'aider enfin à se relever sur ses jambes flageolantes. Le jeune homme sentit un torrent de sentiments violents le parcourir, et il ravala ses larmes de justesses, refusant d'exposer plus que de raison la détresse qui l'habitait à son jeune compagnon. Il s'était promis de protéger Égide, de le maintenir loin des combats depuis qu'il avait tenu la petite boule couleur suie au creux de ses bras. Et voilà qu'à présent, c'était le Grotichon qui venait prendre soin de lui. Comment aurait-il pu se trouver plus lamentable ?
Mais il y avait plus important à penser...

Chassant sa peine et sa fierté, le dresseur rappela laborieusement ses Pokemon dans leurs abris respectifs, ne laissant finalement qu’Égide et Duncan. Avec l'aide du cochon, Kenshîro ramassa son sabre qu'il rangea dans son fourreau, puis boitilla jusqu'au corps de son Pikachu qu'il souleva délicatement avant de venir le loger dans son manteau. Le rongeur demeura ainsi lové contre la poitrine du garçon, sa fourrure mouillée imprégnant le sous-pull de relents de vase gelée. Mais le borgne n'en avait que faire. Tant qu'il le sentait contre lui,  il pouvait être certain que son ami était toujours vivant. Il percevait sa lente respiration, et l'écho affaibli de son petit cœur qui lui parvenait comme une pulsation sereine et lointaine.

"J... Je vais avoir besoin de toi encore quelques temps, Égide..." murmura le jeune homme après avoir dégluti plusieurs fois pour chasser le goût amer qu'il avait dans la bouche.

Le Grotichon hocha lentement la tête, son grand œil noir posé sur celui de son dresseur pour l'assurer qu'il ne le laisserait pas tomber. Difficilement, ils se mirent en marche. À quelques pas de l'endroit où Kenshîro s'était effondré, ils découvrirent son porte-feuille ouvert et quelques pièces qui avaient roulé hors de la poche béante. Les billets qu'il contenait avaient été volés. Le jeune homme ne dit rien, et ramassa son bien qu'il fourra négligemment dans sa poche. Peut-être que le monstre n'était pas une créature sauvage finalement. Peut-être avait-il été élevé par l'homme, afin de réaliser ce genre de larcins ?
Mais Kenshîro ne se posa pas longtemps la question. Il n'en avait que faire. Tout ce qui lui importait à présent, c'était de rejoindre Merya avant que sa fièvre - qu'il sentait revenir à grands pas - ne lui fasse à nouveau perdre connaissance. Il devait rejoindre la ville au plus vite. Le Centre. Et sauver ses compagnons.