T’es sérieux à me demander de raconter mon histoire ? A quoi ça te sert de le savoir ? Bon, très bien, comme tu veux. Je commence par quoi ? Mon enfance.. J’ai pas grand-chose à dire là-dessus. J’ai une grande sœur que j’ai jamais pu voir en peinture, des parents aimants et tout le bla-bla habituel. Ma sœur ? Attend, je croyais qu’on parlait de moi, là ! Bon, ok. Elle s’appelle Nadejda et a quatre ans de plus que moi. T’as pas l’air d’être trop nul en maths, alors je te laisse faire le calcul. A l’heure actuelle, je suis incapable de te dire ce qu’elle fait dans la vie, on se parle plus du tout. Pourquoi ? Attend, c’est pas tout de suite, chronologiquement parlant. A l’école j’avais pas d’amis, j’étais trop associale pour traîner avec les filles populaires, pas assez subtile pour délirer avec les intellos, trop arrogante pour me retrouver avec les cancres. Alors j’étais toute seule, et ça me convenait très bien, j’étais transparente, tu vois. Une sorte de petite femme invisible qui se faufilait partout sans jamais être vue. Et puis un jour.. C’était un vendredi, je peux même te dire que ce jour-là, le vent sentait le chèvrefeuille. En plein mois de juin, un nouveau est arrivé dans notre classe. Une espèce d’Apollon, le genre de type inaccessible rien que par sa présence. Qu’est-ce qu’il était beau.. Non mais sérieux, je te jure, je te raconte pas de conneries. Jusque-là j’étais tout le temps seule, et depuis son arrivée, quelqu’un avait l’air de s’intéresser à moi. Il venait me parler, me raccompagnait chez moi, on faisait nos devoirs ensemble, on allait chasser les Papillusion dans les bois tous les deux. C’était cool. J’avais dix-sept ans à ce moment-là. J’ai fini par tomber amoureuse de lui, la plus grosse erreur que j’aie faite de ma vie, je pense. On a commencé à sortir ensemble, j’avais l’impression d’exister enfin aux yeux de quelqu’un, la petite rouquine invisible était devenue une femme qui plaisait à un homme. Je me sentais pousser des ailes, tu vois. Un jour, il a insisté pour que je passe la soirée chez lui, et c’est ce soir-là que ma vie a un peu basculé. Je dis « un peu », parce qu’il va se passer d’autres trucs, t’emballes pas, c’est pas encore fini. Donc, je me retrouve chez lui, où l’attendaient une pléthore de types flippants. Seulement quand j’ai compris les intentions de chacun, c’était trop tard. Ils m’ont tous sauté dessus, et j’ai été contrainte de me laisser faire. Sur le coup j’avais juste envie de mourir, pour que tout s’arrête. Mais la mort ne venait pas.. A force de courir partout dans la maison, j’ai réussi à trouver un couteau de boucher. J’espérais en tuer un ou deux et m’enfuir en sautant par la fenêtre. Mais les choses se sont pas tout à fait passées comme ça, évidemment. Mon corps tremblait de partout, si bien qu’avec une facilité déconcertante l’homme que j’aimais me le prit des mains et me jeta par terre. Et là j’ai senti la lame me transpercer le dos, de la base de la nuque jusqu’à coccyx. J’avais beau hurler de toutes mes forces, la douleur ne s’en allait pas, et le sang coulait à flots sur le parquet. C’est seulement au bout de plusieurs heures que j’ai pu m’extirper d’ici en rampant, les larmes sur les joues, le sang dans le dos, l’âme souillée. Qu’est-ce que tu veux te sentir bien après. Voilà pourquoi j’ai une cicatrice monstrueuse dans le dos. La suite est moins palpitante. Quelques temps après, j’ai appris que ma si chère sœur s’était éprise de mon tortionnaire, qui hantait toujours mes nuits. Je savais pertinemment ce qui allait lui arriver, mais je l’ai laissée faire, je l’ai pas prévenue. Et évidemment, le même scénario se répéta, et tandis que le souvenir pénible de cette soirée terrible refaisait surface dans ma tête, je regardais ma sœur souffrir. Elle au moins, elle se traînait pas un souvenir physique de cette nuit de torture.. Un jour, sans crier gare, j’ai décidé de partir loin d’ici, pour revivre. J’ai pris un sac, et j’ai pris clandestinement le premier bateau quittant la région. J’ai aucune idée du temps qu’on a mis à accoster, mais voilà où en est mon histoire. Tu veux savoir autre chose, ou je te ressers un coup ?